L'Orphée de Rilke
Sortie en avril 2016
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Chez Rilke, la vie s’exprime en
contrastes marqués, violents parfois : immobilité et
mouvement, bruit et silence, visible et invisible… Le recueil des
sonnets dédiés au poète et musicien mythique ne cherche pas
l’unité. Il se présente comme un kaléidoscope de sensations,
d’images, de tonalités.
Le groupe Luxus propose une
lecture du texte de Rilke, attentive à en dégager l’énergie et à
en révéler le projet profond. Un tombeau, donc. Hommage à un
musicien mort et célébration pour les vivants. Le spectacle a
quelque chose d’une cérémonie, dont les musiciens sont les
officiants. Mais la liturgie est païenne, exaltant les sens, le
mouvement, le bruit, l’ardeur de vivre au-delà du silence de la
mort.
Spectacle qui, en écho à Rilke, joue
sur les contrastes. Chaque musicien a apporté son univers, son mode
sonore, son approche des textes. Leur pratique commune a créé le
dialogue, composé l’harmonie, mais chaque morceau garde son
langage propre. On pourrait parler aussi de la rencontre de trois
sensibilités diverses. Chaque membre du groupe a choisi les textes
qui le touchaient le plus, éveillaient spontanément une
réponse musicale, et l’a proposé aux autres.
La mise en musique
des mots ne suit pas de règle autre que la recherche de formes
adaptées à la singularité des textes.
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Il s’agissait de les faire
éclater pour en révéler la matière sonore dont ils sont composés.
Matière complexe puisque les textes sont abordés dans leur langue,
l’allemand, comme en traduction. Ou, plus exactement : en
traductions. En utilisant diverses versions françaises, en
les confrontant, en les mêlant à l’original, Luxus a joué
sur les sonorités, la mise en musique du texte que représente une
traduction, ou une lecture à haute voix.
Toutes les ressources de la voix sont
utilisées : tantôt elle est lyrique, ou diseuse, tantôt elle
est percussion, instrument à cordes ou à vent. Toujours souffle et
mouvement, dans le dialogue sans cesse renouvelé avec les
instruments.
Impossible, donc,
et inutile de résumer sous une étiquette la performance proposée
par Luxus. Elle est la somme de trois parcours musicaux qui se
sont rencontrés à plusieurs reprises, mais enrichis aussi par
leurs propres recherches. Elle est surtout la réunion, joyeuse,
surprenante et libre, de trois sensibilités, de trois expériences
de la vie. Et de la mort. L’engagement des trois musiciens appelle
celui des auditeurs. Difficile, ici, d’écouter sans participer,
émotivement, charnellement.
Oui : un tombeau. Un monument,
construit ensemble. Pas en pierre, ni en métal. Un monument en
mouvement, élevé dans la matière mouvante des sons. Afin de
pouvoir dire avec le poète :
Und
wenn dich das Irdische vergaß,
zu
der stillen Erde sag : Ich rinne.
Zu
dem raschen Wasser sprich : Ich bin.
Que
si le destin terrestre un jour t’oublie,
à
la calme terre, dis : je coule.
A
l’eau vive, dis : je suis.
Bernard
Friot
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